DIM 18 SEPT : La Taharuu jusqu’au pied de Tiamape

Aujourd’hui, nous sommes 13 randonneurs pour effectuer la remontée de la Taharuu à Papara… Après un co-voiturage en règle jusqu’au bout de la servitude où tous les fa’a’apu familiaux sont superbement entretenus, c’est le départ pour la traversée des impétueux gués de cette magnifique vallée de Tahiti. A travers les innombrables forêts de bambous, la progression se déroule en file … tahitienne (on n’est pas en Inde… non ?) de part et d’autres de la somptueuse rivière de Papara.

La magie des lieux envahit rapidement les esprits et c’est le cœur léger que nous arrivons vers midi, après 3 petites heures de marche aisée, à un sublime bord de rivière où nous nous arrêterons aujourd’hui. Il est déjà tard, et les nuages menacent, mais sans plus. Le déjeuner de midi, agrémenté des desserts que certains ont apportés (le cake spécial de Philippe est un régal !), sans oublier le café de Maud et Vincent, est un joli moment de détente apprécié de tous.

Mais une pluie fine nous recommande de redescendre, on ne sait jamais, l’eau monte vite en ces lieux, et c’est reparti en sens inverse.
Une petite halte improvisée le long du parcours nous permettra de nous rafraîchir dans un grand et large bassin naturel, malgré quelques algues, «visqueuses» selon certain(e)s, qui démontrent néanmoins que l’écosystème local fonctionne à la perfection.

Vers 16 h, nous arrivons aux véhicules pour découvrir, tout à côté, un pauvre congénère à quatre pattes, abandonné, affamé et craintif, mais dont les « yeux de biche » bouleversent la troupe. Sans l’ombre d’une hésitation, ce pauvre chien « tombé des cieux » est recueilli par nos belles âmes de Papara qui décident de le ramener avec eux. Le club vient, une fois encore, de trouver une nouvelle mascotte qui pourrait bien être affublé du nom de… Avae.

Photos : Tehani et Martine

A propos de ce chien « tombé du ciel »…
Voilà, telle qu’elle a été vécue par Vincent son nouveau propriétaire, l’histoire dans tous ses détails. Son émouvant témoignage, non dénué d’une certaine honnêteté, inclut néanmoins sa grande propension à pratiquer le second, voire le troisième degré.
Cette aventure, narrée par son principal protagoniste, propose ainsi un éclairage quelque peu différent mais plus cocasse à tous ceux qui l’ont vécue au cours de cette belle journée le long de la Taharuu.

La randonnée mène à tout…
ou
Comment « ils » m’ont fait adopter un chien…

« Si tu as du cœur, tu dois le prendre ».
La phrase a sonné comme une sentence. Jean-Philippe a les yeux braqués sur moi. Les autres aussi. Ils ont formé un cercle, tel un tribunal. Le jugement est définitif. Je réalise un peu tardivement dans quel piège je suis tombé. J’aurais dû me méfier. Ma précédente initiation début septembre – celle de la « conduite de brousse », soi-disant parce que Jean-Philippe avait oublié ses clefs sur le lieu du pique-nique, tu parles – ne m’avait pas servi de leçon : elle n’était qu’une préfiguration de ce qui m’attendait aujourd’hui.
La journée s’était pourtant bien passée. Enfin disons qu’on y avait survécu car les conditions avaient été rudes. Une marche harassante, pour tout dire. Environ 20 kilomètres dans des conditions extrêmes, dignes d’un film de guerre. De la boue jusqu’aux genoux, de l’eau jusqu’à la taille (ou presque) et des moucherons qui se collent partout. Pire : le pique-nique sur des pierres tranchantes. Bonjour le postérieur : ma femme est toujours bloquée vingt-quatre heures après. Et évidemment, pas d’espace pour faire la petite sieste réglementaire bien méritée, pourtant obligatoire d’après les statuts de l’association. Mon fils qui nous accompagne pour la première fois n’en revient pas : « Même pour mon stage commando de 12 jours en Guyane, ça n’avait pas été aussi dur. La vache ! Vous êtes quand même rudement costauds, l’air de rien, dans votre club de vieux ».
Je passe sur cette dernière appréciation. Le bougre a drôlement raison : incontestablement, nous fûmes valeureux.
Mais tout ceci n’était rien en comparaison de ce qui m’attendait à l’arrivée. Avec le recul, j’analyse même cette randonnée épique comme une sorte de mise en condition préalable, domaine dans lequel Jean-Philippe excelle. La dernière fois, il m’a fait le coup des clefs, maintenant il me fait le coup des sentiments. Trop fort.
Mais revenons en arrière. Le scénario du drame s’est mis en place dès notre arrivée, lorsqu’on a garé les voitures dans un endroit improbable, à mille lieues de toute vie civilisée. C’est là, dans un vague fourré, perdu entre deux arbres, que la bête nous est apparue : un petit chiot malingre et décharné, totalement quelconque, et manifestement résigné à son triste sort.
C’est ma femme qui, comme souvent, a déclenché le processus. « Mais tu pourrais au moins lui donner à manger, espèce de bourreau ! ».
Je sais d’expérience que ce genre d’invitation conjugale ne se discute pas. J’ouvre donc ma précieuse boîte de biscuits toute neuve, qui sera bientôt mon seul réconfort à l’heure du pique-nique sur les pierres tranchantes. Le chiot se précipite sur moi : il engouffre le biscuit et manque de m’arracher un doigt. J’accepte, malgré son manque évident de délicatesse, de compléter son repas par un bout de pain, qu’il engloutit de la même façon. Fichtre, il est désormais clair que cet animal est nettement plus affamé que moi, même lorsque je sors d’un repas végan préparé par ma belle-fille.
Mais Jean-Philippe ne nous laisse pas le temps de méditer. « Mes amis, laissons-là nos petits soucis terrestres, et partons d’un pas léger affronter notre destin héroïque ».
Et nous voici lancés pour notre randonnée. Sur le chemin, l’esprit se vide rapidement. La souffrance est trop grande : la boue, l’eau, les pierres tranchantes, les moucherons, la sieste impossible, tout ça… Le sort de la chétive bestiole est vite oublié.
Mais à notre retour, celle-ci est toujours là. Elle n’a pas bougé, et elle est toujours aussi maigre. Devançant l’injonction conjugale que je sens poindre, je lui tends les derniers biscuits qu’il me reste.
Ce geste salvateur me donne bonne conscience. Je souris béatement à ma femme et me sens presque heureux : ah ben, j’aurais fait ce que j’ai pu. Maintenant, la vie doit suivre son cours. Adieu le chien, et bonne chance là-haut.
Mais au moment où je m’apprête à remonter dans la voiture, l’esprit en paix, j’entends une clameur s’élever dans mon dos. Les phrases s’enchaînent comme des chœurs.
« Mais Vincent, tu ne peux pas le laisser là !
– Mais enfin Vincent, il faut le prendre ce chien, c’est évident.
– Mais tu ne songes quand même pas à l’abandonner.
– Ce n’est pas possible, Vincent, tu n’es pas aussi barbare que cela.
– Vincent, es-tu un être humain ? As-tu un cœur comme nous ? ».
Légèrement sonné devant un tel tsunami, je tente de répondre naïvement « Mais pourquoi moi ? ». Le groupe ne m’en laisse pas le temps et forme déjà un cordon compact et menaçant. Des doigts tremblants me désignent. Certains sont à genoux, implorants et tremblants ; d’autres ont le visage en larmes. Sébastien fait une horrible grimace en se couvrant la tête avec du sable, avant de se rouler par terre en grelotant. Je commence à m’inquiéter pour ma sécurité.
Au bout de quelques instants, Jean-Philippe intervient avec un calme olympien. Le menton relevé, il pose une main sur mon épaule et garde l’autre agrippée à son bâton de marche, qui devient pour l’occasion une sorte de sceptre.
« Vincent, le groupe a décidé que tu serais désormais chargé de cet animal. Ne discute pas, c’est sans appel. Tu peux nous remercier de l’honneur qui t’est fait, et ….accessoirement nous inviter chez toi pour boire des bières. J’espère qu’elles sont fraîches ».
Je voudrais balbutier une réponse… Pas le temps, ma femme se jette à mon cou en me couvrant de baisers. « Mon héros, mon idole, quel beau geste tu fais là ». Je comprends que toute résistance est désormais inutile. Le piège s’est refermé. L’affaire a été rondement menée. C’est du beau travail. Était-ce programmé à l’avance ? J’en viens à me demander si quelqu’un n’est pas venu la veille pour déposer la bête dans les fourrés, histoire de me soumettre à une sorte de test en vue de mon intégration dans le collectif.

Nous passons la fin de la journée à rire et à chanter en buvant quelques bières, hormis Jean-Philippe qui se contente d’un Coca. A part moi, tout le monde est heureux, surtout Sébastien qui a cessé de se rouler par terre, sauf pour réclamer des cacahuètes.
J’en tire une conclusion optimiste en me disant que mon intégration est plutôt en bonne voie. Jean-Philippe me le confirme en partant : « Vincent, le groupe est fier de toi. Mais à l’avenir, pense quand même à mettre les bières au frais longtemps à l’avance ».
Je souris naïvement, mais j’appréhende légèrement la prochaine sortie. Il est possible que je demande une déclaration sur l’honneur à chaque participant, proscrivant tout coup fourré (et incluant bien sûr une sieste obligatoire sur de l’herbe douce).

Vincent

PS : A l’attention de tous ceux qui souhaitent connaître la suite de l’histoire, la visite chez le véto lundi matin s’est bien passée. La bête est âgée d’environ 6 mois. Elle ne pèse que 6,5 kilos alors qu’elle devrait en faire une dizaine. L’animal a la gale mais il devrait vite s’en remettre. Il mange bien…

PS bis : Comptez sur moi pour faire appel à la solidarité du groupe lorsque je partirai en vacances et qu’il faudra garder la bête.

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